-Rakesh: « non merci, je ne prends pas de « bread omelette » ce matin, il y a une navratra pendant 9 jours. »-Moi: « c’est quoi une navratra ?

-Varun: « une prescription de notre religion. Nous ne devons manger ni oeufs, ni viande, ni d’autres choses comme de l’ail. Mais moi, je suis plus libéral que Rakesh », dit-il la bouche à moitié pleine de son omelette. Il est surtout plus enveloppé.

-Avik: « le monde est un chaos à cause de la religion. »

-Varun: »le monde serait un chaos sans la religion. »

-Avik: » il y a plus de 3 millions de dieux en Inde. Si tu écoutes chacun d’entre eux, tu ne mangeras jamais rien, tous les jours de l’année. »

Avik est réalisateur, originaire de Kolkata. Famille d’artistes. Il fait partie des 0,01% d’indiens qui s’autorisent à choisir leur femme -et réciproquement?- (même si lui semble plutôt heureux d’être célibataire). Pour Varun ou Rakesh en revanche, ce sont leurs parents qui ont choisi pour eux dans la même caste (la troisième en partant du haut, les brahmanes) en fonction de la dot et de la réputation de la famille. Il est vrai que cela évite maints tourments tels que amour, beauté, connivence. Lors d’un séjour en Angleterre, Varun avait bien perçu les feux de l’amour, vite éteints par ses parents: « c’est elle ou nous ». Il a donc logiquement choisi de rester au sein sa communauté. Que pense-t-il de tout cela? Il dit que ça ne devrait pas être comme ça, mais que ça se passe ainsi pour 99,99% des indiens. Lui fera t il comme ses parents? Il prétend que non, que ça peut changer pour la prochaine génération. Je lui réponds que ses parents disaient peut-être la même chose. Rire collectif. Je poursuis: « chez nous, il n’y a pas de système de caste, mais un système de classe. Les élites se perpétuent, se côtoient dans un entre-soi savamment entretenu. Les catégories sociales se mélangent peu. Est-ce si différent? » Dodelinement des têtes.

Varun a 28 ans et un petit bébé de 6 mois. Il me semble parfaitement heureux. Il va au temple tous les mardis. C’est lui qui m’a fait signe de la main par la vitre baissée de sa portière tandis qu’il me dépassait sur la piste boueuse menant à Mud, le dernier village de la vallée synonyme de frisson pour les trois compères. Sa cuillère lui est tombée de la main quand il a réalisé que j’avais parcouru 50 kilomètres à pied depuis le matin pour y parvenir en finalement pas tellement plus de temps qu’eux. Nous avons eu de très beaux échanges sur l’Inde, le Pakistan, la religion, le monde des affaires (dans lequel ils évoluent), les Émirats arabes unis (dont les taxes dérisoires permettent 1- au Cheikh d’encaisser facilement du cash 2- aux entreprises indiennes d’éviter l’impôt grâce à des partenariats), l’Europe (dont j’ai tenté de leur expliquer l’art du dumping social), les États-Unis (qu’Avik idéalise) ou encore l’Angleterre (les anglais aurait dû rester plus longtemps selon Avik, l’Inde serait beaucoup plus développée). Bref, une belle rencontre comme je les affectionne qui rétrécit le monde.


Le village de Mud, le dernier d’une vallée permettant de relier la région du Spiti à celle du Kinnaur en franchissant le Bhaba pass (4860m).

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