Nous n’aurons vu de l’Allemagne que les deux extrémités Est et Ouest. En venant de République Tchèque sur une piste cyclable, on en devine même pas la frontière. Comme au temps des accords de Munich où les Sudètes furent annexées par Hitler. D’ailleurs, à Bayreuth, nous rencontrons Traudl, témoin de cette sombre période puisqu’elle est née dans ces montagnes en 1938. Allemande, elle fut expulsée en 1945 et dut abandonner tous ses biens à jamais. Le début d’une errance d’une année dans une Allemagne dévastée avant de s’établir près de Bayreuth. Elle nous accueille chaleureusement tous les six dans sa maison pour quelques jours réconfortants. Je l’interroge sur la guerre qui a tant marqué les territoires que j’ai traversés. Son souvenir est celui d’une jeune fille enthousiasmée par les cérémonies accompagnant chaque naissance. Hitler avait besoin de bras et d’âmes pour assurer son projet expansionniste; ainsi toutes les naissances étaient des évènements fêtés avec faste par le régime et les dignitaires locaux. Traudl nous parle aussi de la réunification.

Son témoignage me rappelle une fois de plus que cette traversée du continent eurasiatique et aussi un voyage dans le temps, dans l’histoire barbare du XXème siècle. Et une pensée me traverse l’esprit: après avoir parcouru les vastes steppes et l’immense taïga jalonnés par les monuments aux morts, les mémoriaux et les stèles à la gloire des héros, nous voici au coeur de ce petit pays d’Europe de l’Ouest, à l’origine de tant de miracles et de tant de haines. La surface des hommes semble si légère qu’il est sans doute indispensable d’en rappeler constamment le potentiel mortifère en érigeant des masses de béton.

Traudl nous invite au restaurant. Un gros moment de blues pour Noé qui affiche une opposition frontale à l’idée du voyage de 10 mois que nous envisageons à l’issue de celui-ci. Le vélo est si difficile pour lui, diabétique depuis l’âge de 2 ans! j’ai l’impression de devoir reconquérir une terre brûlée. Il me faut à nouveau la fertiliser pour lui permettre de refleurir. Les cendres de mon volcan intérieur ont recouvert notre jardin familial, ont étouffé les pousses sauvages. les enfants réclament un cocon où se recroqueviller pour mieux se régénérer. Quoi de plus normal après 21 semaines sans leur père. Difficile ce soir-là d’évacuer les doutes et de convaincre Noé de tous les bénéfices d’un tel voyage. Nous parlons beaucoup avec Marianne. Le temps des bourgeons reviendra…

Déjà, le moral remonte lorsqu’après la pluie de la Suisse franconienne, nous retrouvons le soleil dans la vallée de la Moselle. Superbes méandres parsemés de vignes. Journées radieuses, baignades et vin blanc (pour les grands!) Un vrai plaisir de cycliste. L’Allemagne est propre comme un lavabo. On pourrait lécher les trottoirs des nombreux petits villages où ne manque jamais le concessionnaire automobile. Des pistes cyclables magnifiques comme ce petit ruban de bitume serpentant en sous-bois le long d’un ruisseau et qui nous offre l’occasion, près de Bitburg, d’une descente mémorable. Lou chante sur sa troisième roue mais ne pédale pas beaucoup. Dans les montagnes russes qui suivent, je sollicite des muscles inconnus jusqu’alors pour tirer cette nouvelle charge de 60 kilos. Marianne est impressionnante sur le tandem. Une résistance incroyable malgré la fatigue et le stress accumulés en mon absence. Sans son endurance exceptionnelle nous ne pourrions avancer. Quant à Juliette, Noé et Samuel, mon neveu, ils font preuve d’une sacrée détermination pour rejoindre la frontière luxembourgeoise, où nous nous reposons aujourd’hui.

L’Allemagne reste à découvrir. Trop vite traversée, encore survolée, c’est un pays si bien rangé et organisé que les distributeurs d’argent vous crache la somme décomposée en coupures différentes de 50 à 5 Euros de manière à ne pas importuner la boulangère avec un trop gros billet.

Hier nous avons fêté les 10 ans de Noé et avons eu droit à l’heure toutes les cinq minutes grâce à sa nouvelle montre! Demain nous percerons dans les Ardennes en direction de la France!!

photo 1: Lou saute dans la Moselle

photo 2: grosse hypoclycémie de Noé

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  • pierre-claude dit :

    Déjà la France !!! Impressionnant ! Vous ne pédalez pas, vous volez, ma parole… Attention aux radars ! 😉
    Courage pour la fin, particulièrement aux enfants…

    Pierre-Claude

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