Un train m’a offert la capitale sur un plateau. Mais le territoire de Kazan a Moscou laisse un vide dans mon paysage intérieur heureusement partiellement comblé par la promiscuité du wagon de 3ème classe. On y décèle les habitudes du peuple. L’installation de la couche, le diner sorti des plastiques une fois le train parti, puis l’extinction des feux. Chacun essaie de se ranger convenablement sur sa couchette mais au petit matin, seules les personnes âgées résistent au relâchement. Une armée de pieds nus, de torses mous, et de bras ballant déborde alors sur le mince couloir où l’on chemine entre les obstacles pour se rendre aux toilettes. Eau chaude à volonté pour son thé ou son café. Un cornichon coupé en rondelles, une tomate, des restes de poulet, un morceau de pain font le petit déjeuner. Les draps verts chargés des sueurs nocturnes sont repliés soigneusement ou roulés négligemment en boule; on fait des cigarettes russes avec les nattes rangées sur les banquettes. En me levant, je me suis empalé le front sur le grand plateau de mon vélo démonté, logé en hauteur, au-dessus de ma couche. Imperceptiblement, on se fait manger par la banlieue et les bouleaux cèdent progressivement face au béton. 10h35, le quai de Kazanskaïa lèche doucement les flancs de la micheline et nous voici au coeur de la capitale.

Je file sur la place rouge. Si le Parti communiste est omniprésent et omnipotent dans l’empire du milieu, malgré l’aspiration capitaliste que l’on voit partout, la Russie, où les communistes ne représentent plus qu’une arrière-garde démodée, ne s’embarrasse pas avec ces contradictions. Elle ne renie pas son passé mais elle affiche sans complexe son nouvel idéal. En face du mausolée de Lénine, le célèbre magasin « Goum » ne vend plus que des produits de luxe. Piaget ou Vuitton y sont chez eux.

Moscou, première escale Air France depuis mon départ de Canton, à portée d’ailes de mon Airbus A320. Lorsqu’on vient de Paris, c’est une porte ouverte sur un immense territoire chargé de mythes, mais lorsqu’on débarque de Chine après 7300 km de vélo, on y respire déjà l’odeur de la baguette!

Moscou, vu par la lorgnette des navigants a un tout autre visage: un alignement d’hôtesses de l’air contemplant l’écran de leur ordinateur portable orne le mur du fond. Devant elles, des tables vides se partagent l’espace dédié au restaurant. Sur le côté, d’autres écrans permettent à tous de surfer sur internet et de tuer le temps entre fatigue et décalage. Le sous-sol du Novotel aéroport Sheremetievo était auparavant un bar à cousines, comme on dirait en Afrique. Le nouveau directeur a bataillé ferme contre tous les bénéficiaires de ce trafic pour y installer le « hub », un salon dédié aux équipages en transit, propre à fidéliser une clientèle fiable de compagnies aériennes. Les chinoises de Hong-Kong Air, les coréens de Korean Airlines, les kazakhes d’Air Astana ou les collègues d’Air France s’y croisent. Mais il est loin d’y régner l’atmosphère festive du Bangkok de la grande l’époque de l’hôtel Méridien, ou bien de Rio ou Buenos Aires. A l´heure d’Internet, le spectacle de ces équipages en escale offre une perspective assez déprimante sur notre monde. Comme si l’on allait à l’autre bout de la terre que pour se rapprocher le plus vite possible de tout ce que l’on vient de quitter. Moscou, qui n’est pourtant qu’à 30 minutes de train, est déjà trop loin. Selon les hôtesses chinoises, les russes ne sont pas souriants et ils ne parlent pas bien anglais. Raison de plus pour s’enfermer dans le béton. Auparavant, on pouvait encore conserver l’illusion du voyage, mais de nos jours, vu de l’écran de son ordinateur portable, toutes les villes du monde ont le même visage.

Vu du viseur de mon appareil photo, je ne trouve pas le cadre. En panne totale d’inspiration photographique, j’y vois un autre signe de la proximité de la maison, moi qui n’ai toujours été inspiré que par l’ailleurs. A moins que ce ne soit une véritable sécheresse, par un effet caméléon.

Demain, retour aux affaires et direction Varsovie. 1200 km de canicule dans la Russie européenne puis la Biélorussie et l’est de la Pologne. Merci mille fois à tous ceux qui continuent à me suivre malgré l’été et les vacances.

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  • Les Nantais dit :

    Salut François

    Tout d’abord j’espère que ta pause t’a permis de recharger les batteries et de te remettre de ton épisode à la frontière Kazach. Je pense qu’il n’a pas du être simple de chevaucher de nouveau ta monture… et quand on dit que le vélo ça ne s’oublie pas, tes gambettes et ton c.. doivent te le rappeler tous les matins.
    Je vois aussi que tes rencontres continuent d’enrichir ta boite à souvenir et qu’elles doivent te conforter dans la démarche que tu entreprends… J’imagine (du confortable canapé d’où je pianote à un rythme tranquille) que tu dois alterner entre le sentiment du temps qui passe trop vite et celle tu temps qui dure… et même des taons qui restent trop longtemps
    Allez, courage François, tu n’as jamais été si proche du but et comme le dit un célebre proverbe russe : « un kopek proche vaut plus qu’un rouble lointain »

  • Pierre-Claude dit :

    Encore moi, désolé 😉
    J’ai regardé sur le site ton planning prévisionnel initial que tu n’as pas changé : sans la pause famille, ce week-end, tu arriverais vraisemblablement à Prague…
    Moscou-Prague, ça a été facile il y a une quarantaine d’années : tu montais sur un char et hop…
    Bon, sur que comme ça, t’étais sûrement laaaargement moins bien accueilli qu’un type tout seul qui arrive à vélo, hein… 😉
    Toujours d’apres ce que j’ai lu du cyclo qui fait ca dans l’autre sens vers le Japon, les routes sont bonnes à partir de Moscou, des bons rubans bien bitumés, ce qui n’était p’tet pas toujours le cas auparavant…
    hé, pis t’es déjà sur le continent final maintenant… !!!
    On pense à toi ce week-end…
    Forza…

  • DEBEAUMARCHE Michèle et Bernard dit :

    Salut l’artiste! Bravo pour ta constance. Nous te souhaitons que cette partie du voyage soit plus favorable, à défaut d’être plus facile!
    Autant que faire se pourra, nous essayerons d’être à Roissy. Tiens-nous au courant de la date.
    En attendant, bon courage. La perspective de retrouver la petite famille pour partager la route doit te donner des ailes. Si elles sont aussi efficaces que celles du A320, ça va marcher!!!Mais..!
    En attendant, nous t’embrassons et Hélène se joint à nous.
    Bernard et Michèle

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