Pour le sommet, les candidats sont peu nombreux. Les statistiques découragent : un grimpeur sur trois n’en revient pas. L’Annapurna est le 8000 le plus meurtrier. Mais pour tourner autour (dans le sens inverse du moulin à prière, ce qui est une aberration avouons-le) on se précipite des quatre coins du monde. Au Thorung La (5416m) on peut entendre un chant hébreux, des cris de rage germaniques, un anglais qui parle à son téléphone portable. On évite de peu les pas de danse. Certains y parviennent en portant leur VTT (ou en le faisant porter) avant de prendre leur shoot d’adrénaline dans la descente. »Congratulations ! » est inscrit en lettres blanches sur le panneau indiquant le col, noyé dans les drapeaux à prières. On y trouve même une petite maison de thé, on y a donné un concert de jazz pour lever des fonds ! Nico a eu un bon mot que je me suis empressé de noter: en 500 km nous avons croisé 5 touristes. En 5 km, nous en croisons 500! La formule peut sembler exagérée, mais elle n’est pas si loin de la vérité. Nous restons incrédules face à ce flot -de randonneurs, de dollars- qui se déverse de Besi Sahar à Muktinath. Le village de Manang en est la parfaite illustration. En tournant dans le bon sens comme nous l’avons fait, c’est à dire d’ouest en est – face à l’Annapurna- on pénètre d’abord dans le village médiéval de Manang qui semble bien préservé, qui se confond avec l’environnement. On longe d’étroites ruelles bordées de hauts murs de pierre sur lesquels flottent des drapeaux à prières.
–mur à mani (pierres gravées) à l’entrée d’un village typique de la vallée–
Puis vient une station martienne parachutée pour les touristes: une large « avenue » bordée de lodges vendant chacun ses mérites: « 24h gas shower, free wifi, fire place, roof top restaurant ». Bienvenue en Western land: boulangeries avec des pains au chocolat, salon de thé avec chauffage électrique, magasins qui vendent des Mars, des Bounty, des Snickers, du Coca Cola. Imitation occidentale, prix occidentaux. Allez, avouons-le, on a bu un chocolat chaud et mangé un « chocolate roll ». Je m’interroge cependant sur cet « ailleurs » qui peuplera les souvenirs des randonneurs de l’Annapurna. Une face du Népal tellement différente de celle que nous avons vu jusque là. Sur la piste descendant de Manang à Dharapani, on est tranquille avant 9h, avant de se trouver plongé dans les nuages de poussières que les nombreuses jeeps soulèvent dans leur sillage. On peut alors admirer un paysage grandiose qui explique l’engouement pour cet itinéraire: falaises érodées comme au Mustang, forêts de pins, rivière bleu glacier et tout là-haut, des sommets immaculés qui défilent les uns après les autres, tous aussi spectaculaires. Cascades de glace, arêtes effilées, corniches, pyramides…
–au fond a droite, le sommet de l’Annapurna–
Tout petit face à ces géants que l’on regarde la tête renversée comme pour observer les étoiles. Ressurgissent alors dans ma mémoire les exploits, les polémiques et les drames qui ont fait la légende de l’Annapurna. Voici deux livres à dévorer pour digérer la poussière : « Une affaire de cordée » de David Roberts, et « Prisonnier de l’Annapurna » de JC Lafaille.
Moi, je rêve d’un sofitel, à Ramatuelle, avec 3 masseuses, qui me tripotent les orteils !