Au pays du marteau et de la faucille

_MG_4646Apres 1200 km de vagues ondulations, voici enfin le relief. Il porte un nom qui a berce mon enfance: l’Oural. On ne peut pas tomber amoureux de Nadia, comme le fut egalement Michel Strogoff, le fameux courrier du tsar en route pour Irkoutsk, et rever d’aventure entre les lignes de Jules Verne sans se retrouver au pied de ces montagnes avec une intense emotion.

Le Kazakhstan aura rempli mes jours. Il est probable qu’il peuplera mes nuits pour longtemps. Le seul probleme de pouvoir communiquer dans un pays ou les gens sont curieux et sympathiques, c’est qu’il faille repondre cinquante fois par jour aux memes questions:

-D’ou viens-tu?

-De Chine.

-Ou vas-tu?

-En France.

-A velo??

-Oui, a velo.

Une moue kazakhe carateristique manifeste alors un melange d’admiration et d’etonnement: les yeux s’elargissent et la bouche se pince pour donner au visage l’aspect d’un merou etrangle tandis que la tete oscille rapidement de gauche a droite a la maniere du « non ». On entend parfois dans une sorte d’elan douloureux un « wouaaouh » dont le « A » dure longtemps. Pas de sourire ni de pouce leve mais la reconnaissance indeniable de l’effort accompli.

Ensuite viennent generalement:

-Quelle nationalite?

-Francais.

-Quel est ton travail?

-Pilote d’avion.

-Ou habites-tu?

-En France

Etc. L’echange dure autant de temps que l’on peut y consacrer. Au moindre de mes arrets, inevitablement, quelqu’un m’aborde. C’est fort agreable qu’on s’interesse ainsi a moi et apres l’echange vient la generosite mais le velo m’epuise a un tel point qu’il m’arrive parfois de regretter l’indifference apparente de certains de mes propres amis.

Apres quelques peripeties frontalieres, je mets les pieds en Russie a 2 h du matin le 07 juillet. Le soleil s’est couche sans vouloir en finir. Un large disque rouge s’est pose sur l’horizon comme on s’allonge sur un sofa, pour s’y reposer quelques heures avant de rejaillir a peine plus loin vers l’Est. A 1h du matin, une vague lueur allumait encore le Nord.

_MG_482554 degre de latitude. Bienvenue au pays du marteau et de la faucille. Pour le marteau, j’attends sereinement Magnitogorsk. Quant a la faucille, je pedale au coeur de la Beauce. Les douces ondulations du terrain accompagnent le chant du ble. C’est etonnant, le caractere rassurant d’un champ de ble. Au sein d’une meme etendue demesuree, la cereale exercera toujours un pouvoir protecteur alors que la steppe vierge enferme paradoxalement dans la solitude et nous fait peur. Le soleil implaquable et malfaisant des terres pelees se fait source de vie lorsqu’il donne son energie a la plante nourriciere. L’homme occidental n’a peut-etre pas oublie qu’il est d’abord un paysan. Lorsqu’on arrive de lieux aussi sauvages que les steppes kazakhes on a ainsi le sentiment d’etre deja un peu chez soi en decouvrant la Russie agricole d’au-dela de l’Oural. Quant aux visages des jeunes enfants que je rencontre pres de mon campement le soir du 07 juillet, pour la plupart, rien de plus europeen. Ils se retrouvent a l’ecart du village. Les plus grands chevauchent des 15 ans des side-car sans ages tandis que les jeunes viennent equipes de velo au style « shooper ». Eagle, dont je fais ce portrait, ne surprendrait personne dans les rues de Stokholm.
Et puis voila Magnitogorsk. Trois lettres pour les pilotes de ligne: MGR. L’indicatif d’une balise radio dont on capte le signal a bord de l’avion. Un point sur la carte qui restera pour la plupart d’entre nous une simple aiguille sur un ecran, qui bascule a notre passage, le souvenir d’un vol trop long, le moment d’un coup de barre ou d’un appel du controle aerien. La realite du pilote bien loin de celle des terriens. Tout le sens de mon voyage est donc la: allumer la lumiere, retablir la connexion, donner vie aux symboles et aux chiffres, au traits du cartographe.

Je decouvre ainsi une ville pas comme les autres. Magnitogorsk affole les compteurs. Tant de fer dans le sous-sol que les boussoles perdent la boule. Ce fut la plus grande usine siderurgique au _MG_4889monde grace au combinat qui extrayait, traitait puis manufacturait le metal. La moitie des chars d’assaut sovietiques de la seconde guerre mondiale furent produits ici. Ainsi que le tiers des munitions. Staline a remercie la ville en lui offrant deux colosses de 83T dans le plus pur style sovietique. Ils surplombent le fleuve Oural cote europeen. Sur la rive asiatique se trouve le gigantesque complexe dont les fumees crachent toujours un metal importe du Kazakhstan.

 

 

 

_MG_4882Par les chaleurs caniculaires actuelles, la plage est beinvenue. On se baigne dans l’Oural avec les usines en toile de fond. Les filles s’enfilent des bieres et les hommes de la vodka. C’est la que j’ai photographie l’homme au matelas jaune fluo.

Journee de repos a Magnitogorsk avant de traverser l’Oural. Le rythme des derniers jours et les chaleurs estivales m’ont durement entame! A bientot tous…

photo du milieu: le fleuve Oural a Magnitogorsk.

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  • Robinson dit :

    Merci beaucoup, François, pour ces récits de rencontres et ces descriptions de paysages gagnés à la force des mollets. Félicitations et prends bien soin de toi.

    Marie-Laure et les Robinson boys qui s’apprêtent à découvrir la Grèce en camping-car via l’Italie et le ferry Ancône-Patras !

  • christian dit :

    Salut François,

    C’est toujours un plaisir de te lire et surtout en ces mois de Juillet-aout où les commentaires faiblissent les vacances aidant…tu dois te sentir seul alors qu’au contraire il faut te dire qu’on est là avec toi pour ce périple…On parlait encore de toi pas plus tard que la semaine dernière chez Corinne.

    Je ne savais pas que tu savais quelques mots de russe, je me demande bien comment tu arrives à te faire comprendre partout…c’est géant! parce que de leur coté je ne pense pas qu’ils sortent un mot de français !

    Quant à la convivialité, c’est vraiment comme ça ? Tu arrives n’importe où n’importe quand et on t’invite à partager tout ce qu’il y a sur la table ?

    Pour avoir vécu ça à la réunion je comprends ce que ça peut te laisser comme souvenir.

    ForZa pour la suite

    christian

  • brottes Joëlle dit :

    Merçi François pour le rêve sans la douleur.
    Ca change de notre train-train quotidien.
    Tes textes nous font voyager et nous rappellent que nous ne sommes pas seuls sur cette terre. Elle est vaste, magnifique, bien vivante.
    Bonne continuation

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