Le départ. L’heure des doutes. Et si mon téléphone tombait en panne? Pour économiser du poids je n’ai pas pris de carte papier (sauf pour la région du Rupshu, la plus isolée de mon parcours). Bizarrement je n’ai envisagé ce risque, qui n’est pas négligeable, que pour le Rupshu. Quand il s’agit de rêver, le cerveau nous autorise tout, mais dans la réalité… à jouer le jeu du « tout en un », je m’aperçois soudain, assis sur mon siège dans le grand hall du terminal E de l’aéroport de Roissy CDG, que pour ma sécurité je m’en remets au service qualité de la firme à la pomme ou à la dextérité d’un ouvrier chinois qui a assemblé mon téléphone. J’ai traversé la Chine a vélo, ses chantiers, sa crasse, ses malfaçons. Est-ce bien raisonnable? Voilà donc une part d’inconnu. Ou une absence dans ma préparation pourtant rigoureuse. Après tout Sven Hedin non plus n’avait pas de carte lorsqu’il explorait le Tibet. Et pour cause, c’est lui qui les a tracé. Mais le grand blanc, soudain, au sommet d’un col balayé par le vent ne m’inspire guère. Penser à autre chose… Et faire confiance à Steeve Jobs.Tiens, voici un message de mon ami Fifi, avec un lien vers le site de France TV Info: « En Inde, au Népal et au Bangladesh, une mousson historique fait plus de 1000 morts. » Les amis sont sympas. Ils vous « accompagnent ». La fédération internationale des sociétés de La Croix Rouge dit qu’il s’agit des plus graves inondations en Asie du Sud depuis plusieurs décennies.
Quel est mon karma? Est-ce que ces inondations touchent les régions que je m’apprête à traverser? Si ce n’est pas le cas, je me sentirai soulagé. Puis je m’en veux immédiatement de cette humaine, mais vilaine pensée.
En naviguant sur la toile, je découvre que Mumbai a été gravement touchée.
J’y étais la semaine dernière, comme si de rien n’était. Sur les réseaux sociaux, on trouve des vidéos ahurissantes de cascades dégringolant des escaliers entre deux immeubles. Les écoulements sont bouchés par les innombrables déchets en plastique qui rendent la ville très vulnérable aux intempéries. 18000 écoles ont été détruites, et parmi les 1,8 millions d’écoliers concernés, une grande partie ne retournera probablement jamais en classe. Dans ces crises humanitaires, l’éducation passe au second plan. Priorité aux infrastructures, à l’habitat tandis que se déversent sur les routes des armées de mendiants. Je scrute l’écran de mon téléphone portable pour savoir où ont eu lieu les inondations au Népal. Mon émotion grandit à la lecture des innombrables dégâts, des morts, des familles déchirées, déplacées, sans abris. Je finis par lever la tête et vois passer deux moines bouddhistes. L’un d’eux boite légèrement. Il porte un petit sac de tissu jaune pour tout bagage. Tiens, on dirait le Dalaï lama… Puis je retourne à ma navigation sur Internet.
15 minutes plus tard, je prends moi même place dans l’avion. L’équipage, charmant, m’accueille avec bienveillance. La chef de cabine m’installe confortablement en classe Affaire. Elle est déjà informée de mon projet de voyage et semble ravie de participer à l’aventure à sa manière, en m’emmenant jusqu’à Delhi. Le voyage s’annonce paisible et confortable. Peu avant la fermeture des portes, elle s’avance à nouveau vers moi, tout sourire: « le Dalaï-lama est à bord! »
Je pleure. Je n’en reviens pas. Comment ne pas y voir un incroyable signal envoyé par ma bonne étoile? Il était sensé donner des conférences à Dharamsala du 29 août au 1er septembre. J’avais adressé un message à son secrétariat qui m’avait répondu très cordialement que compte tenu de son âge (82 ans) et de ses nombreux engagements, il ne pouvait répondre favorablement à ma demande d’audience. Évidemment, cela me semblait naturel. Et il est là, assis à quelques mètres de moi! Ce même personnage totalement inaccessible aux étrangers dans son palais du Potala lorsque Heinrich Harrer le rencontrait en 1946. Cette figure que des millions de tibétains vénèrent, plus qu’un maître spirituel, une sainteté qui a embarqué sans façon, sans protocole et est allé s’assoir avec son assistant en classe économique. Je m’apprête à le rencontrer, le voyage à me prodiguer sa première leçon.
Nous avons déjeuné, il est là, assis à côté de moi. Scène surréaliste. Je lui explique mes intentions. Il répond « yes, yes… » dans un large sourire. Je ne suis pas sûr qu’il comprenne tout, il n’entend pas très bien. Il semble en même temps proche et au-delà de tout cela. Deux passagères indiennes nous rejoignent et se font bénir. Il a froid. Je le recouvre de la petite couette prévue pour les clients Affaires, le steward incline le dossier de son siège, il s’endort comme un nouveau-né. Ce vol n’est pas réel, je ne sais pas où je suis, entre ciel et terre, mais certainement pas dans un avion en partance pour Delhi. Le 14ème Dalaï lama dort à mes côtés.
Je m’endors à mon tour pour une courte sieste. Frustré de n’avoir pu lui faire comprendre mon projet de drapeaux à messages, qui consiste à recueillir tout au long de mon parcours des messages de fraternité sur de petits drapeaux reliés par un fil, à l’instar des drapeaux à prières tibétains, je me rapproche du groupe de moines avec lesquels il voyage. Serait-il possible de revoir sa sainteté à Dharamsala? Je débute un long voyage à pied vers Katmandou dès dimanche… « Il doit y avoir méprise… Nous sommes du Sikkim. C’est notre gourou, mais ce n’est pas le Dalaï Lama. »
J’étais bien au pays des rêves. Un début idéal pour mon aventure. Mais un indice aurait dû me mettre sur la voie. Lorsque j’ai donné mon téléphone portable à la chef de cabine pour filmer la scène de ma bénédiction, je l’avais laissé par inadvertance en mode accéléré. Le résultat est comique, comme un tendre pied de nez à notre crédulité.
Merci pour la narration de votre périple et pour votre humour. Je vous souhaite vraiment tout le meilleur et je suis convaincue que tout se passera à merveille. Je vous suis.
J’adore ton récit mon chéri. Tu m’as fait pleurer derrière mon masque de chirurgie et mes loupes quand je découvre ton sms » C’est énorme, le Dalai-Lama est à bord, j’en pleure! »
Mon patient de 85 ans,à qui je rescellais une incisive,n’osant pas me demander par quelle émotion j’étais soudain envahie alors que je lui redonnais son plus beau sourire. Je vois sa femme qui l’accompagne un peu désemparée. Je suis tellement contente pour toi.
Avec les yeux embués je lui fais comprendre que je viens d’apprendre une bonne nouvelle et qu’il est difficile de dissimuler des émotions positives. Je les vois rassurés.
A ce moment précis, je me dis que comme souvent tu as un bol incroyable… »né sous une bonne étoile! ».
J’aime ton humour dans ce récit et là je ris encore presque à en pleurer tellement tu as dû tomber de ta chaise quand tu as réalisé que cette personne n’étais pas celle que tu croyais.
Tu commences donc ce voyage par une très belle rencontre.C’est un bon début pour croire en ses rêves et persévérer pour vouloir les accomplir.
Bon voyage au pays des rêves.
Notre crédulité nous a joué des tours effectivement sans doute parce que nous voulons croire à ces hasards extraordinaires que la vie peut nous apporter …. La magie d’une belle rencontre avant ce beau voyage initiatique !
Après quelques recherches sur le net sur l’identité de ce moine, Le lama Namgyal Tsultrim assis à tes côtés, j’ai découvert que nous avions effectivement fait erreur avec sa troublante ressemblance avec le daïla lama …..
Neanmoins nous avions à bord une sommité du bouddhisme, Thaye Dorje, le 17 eme Karmapa !!!
C’est une importante personnalité religieuse tibétaine, la réincarnation d’un maître spirituelle qui peut être un prétendant à la succession du Daïla lama.
Il était bien présent avec ses disciples, de retour d’une tournée en Europe. Nous nous sommes focalisés sur le plus ancien qui a partagé ce moment avec toi en ignorant involontairement la sainteté officielle ….
Tu étais donc bien accompagné spirituellement par ces moines bouddhistes et ces belles énergies qui émanent d’eux sur ce vol vers Delhi.
Nous te souhaitons un beau voyage et une belle aventure humaine tout au long du parcours.
Namaste
Bonjour , joli récit plein d’humour
J’espère que votre périple sera plein de moments aussi tendre et avec autant de surprises , Bon vol au vent
Remarque, vous avez la même coupe de cheveux, ton lama et toi… il suffirait que tu enfiles un costume identique et tout le monde n’y verrait que du feu… vous deviendriez même vite, j’en suis sûr, de bonzes amis 😉
Hi François, Un peu tard pour te souhaiter bon voyage, mais saches que comme beaucoup de collègues je suis admiratif. J’ai passé tant d’années à survoler confortablement des centaines de pays dont certains m’accordaient le privilège de m’accueillir pour des escales de « rêves », j’ai « pensé » bien sûr aux gens qui y vivaient, j’ai « effleuré » certains au cours de courtes escapades, mais n’ai jamais eu le temps ( ou pris ) de me fondre dans leur vie et leur environnement, à part dans de trop rares exceptions
tu as choisi d’aller à leur rencontre plutôt que de profiter d’une vie confortable entrecoupée de rotations gratifiantes, ce que tant de gens nous envient. Vivre ses rêves plutôt que de rêver sa vie. Respect!
Fais nous vivre avec toi cette merveilleuse aventure, par tes récits plein d’humour et d’humanité, et prends soin de toi malgré tout… Merci & Bon vent
Namaste!
Bernard, ex collègue, Nâves Parmelan
Quel farceur ce Dalaï- lama faute de pouvoir te rencontrer il t’envoie son sosie et potentielle sucesseur. Je te souhaite une multitude de divines surprises.
Namasté
Salut Fanch,
En te lisant,j’ai pris une centaine de pulsations quand tu annonces que le Dalai lama est à bord avec toi ,avant de déchanter quand tu t’es rendu compte de la « supercherie ».
Sacré Dalai Lama!, il est pire qu’Elvis, il a plein de sosies et ce n’est pas difficile. Il suffit d revêtir l’habit traditionnel des moines bouddhistes et un coup de rasoir sur le ciboulot! lol
Bon, c’est quand même une bien belle anecdote qui vient égayer un peu les tristes nouvelles dont tu nous fais part sur les catastrophes naturelles et donc humanitaires qui en découlent, là bas en Asie…
Concernant ton inquiétude sur ton téléphone, unique matériel central et indispensable de ton éxpé, l’autre soir chez toi , cela m’a traversé l’esprit quand tu nous montrais le matériel embarqué mais je n’ai pas osé dire quoique ce soit de peur que ça porte la poisse, 😉 bon tu n’as plus qu’à faire confiance à Apple, ton destin est entre ses mains.
je ne sais pas ou tu es au moment ou j’écris mais j’imagine que tu dois être en train de dormir quelque part dans une montagne…
@ Plus tard, en te lisant..
SeV et Fab.
Namasté ! J’ai adoré ! MAYA, première leçon, j’y aurais vu comme toi les mêmes signes, quelle belle entrée en matière 🙂 Je trouve que tu ferais un parfait petit bonze la boule à zéro en robe orange… Bonne continuation et continue à nous faire rêver et à nous émouvoir.