Bonjour a tous. Le printemps est arrive le 14 avril. A l’heure de poster cet article mon coeur en a retrouve les couleurs. je suis aupres de mes etres si chers, ma femme et mes enfants a Almaty, Kazakhstan. Apres le silence impose au Xinjiang me voici libre de vous parler a nouveau.
Il m’aura fallu 5500 km de velo pour venir a bout de la Chine, cet immense pays ou j’aurai connu le plus long hiver de ma vie. J’y aurai decouvert la souffrance malgre les nombreuses rencontres, parfois inoubliables, qui ont eclaire mon chemin et vecu la pire quinzaine de ma vie a Emin, ville interdite, dans l’incertitude et l’inquietude d’une condamnation pour activite cartographique illegale.
Pour l’homme beni des dieux que j’ai toujours ete ce n’est pas une mince experience. J’aurai appris a voyager avec noblesse mais sans absolutisme et je suis heureux d’etre arrive jusque la de cette maniere malgre tous les vents contraires qui m’ont barre la route. Mais revenons au Xinjiang qui aura occupe ces 25 derniers jours:
1/6 de la Chine, cette province strategique est aujourd’hui l’objet de toutes les attentions pekinoises. le 20 mars je bois chaque minute d’une journee miraculeuse, sans vent. 112 km pour pedaler le coeur leger sous la protection des monts celestes a ma droite. Attire par des stalactites dans une maison abandonnee, comme j’en croiserai beaucoup, je m’attarde et me perds en declenchements photographiques. J’ai trouve un sujet qui justifie pleinement le choix du velo: s’arreter nulle part et s’y poser si necessaire. Nul stalactite mais des lambeaux de plafond me vaudront cette image publiee ici.
Pour tuer le temps lors de ces pedalees dans des espaces infinis, je fais des exercices mentaux: ce jour-la je passe en revue mes proches et me parle a voix basse de leur caractere, ce qui me les rend agreables ou au contraire nous eloigne parfois. Tout le monde y passe: femme et enfants, parents, freres et soeur, neveux, nieces, belle famille et enfin les amis. J’en garde un peu pour plus tard car un troupeau de chameaux m’interromp dans mes divagations. Quelle outrecuidance de me voler ainsi une partie de la chaussee. Nous sommes sur une autoroute quand meme! Je gagne la course. Un peu plus loin un camion a perdu sa cargaison de masques chirurgicaux. Le vent s’est mis en fete pour decorer la nature et des buissons de Noel avec ces droles de guirlandes couvrent ainsi des centaines de metres! De quoi operer l’armee de policiers envoyes pour surveiller les rues d’Urumqi. Durant cette journee de silence je redecouvre le cliquetis de la chaine qui passe sur les pignons. Malheureusement ces bonnes choses la ont une fin.
Lorsque j’installe mon bivouac dans un ancien luguan en ruine le vent du Nord est deja fort. Je suis bien abrite mais je m’endors en formant le voeu qu’une nuit de violence lui suffise. Comme il n’en est rien le lendemain j’hesite longtemps avant de tenter ma chance en enfilant pour la premiere fois toutes les couches disponibles. Je navigue alors sur une mer demontee delimitee par les 2 voies d’une autoroute flambant neuve et heureusement fermee a la circulation. Il me faut bien ca pour encaisser les rafales furieuses qui me projettent sans cesse sur la barriere de securite. Je gite et remonte le vent vers la droite pour me redonner la marge indispensable. je freine parfois dans les montees. A ce petit jeu hautement incertain et impensable sur une route frequentee j’arrache 40km avant de m’ecrouler dans une nouvelle ruine. Pendant les 8 jours necessaires pour rejoindre Urumqi depuis Hami je serai ainsi le jouet d’Eole. Mais pour etre honnete, il m’aura aussi aide.
Dans la region de Turpan je decouvre les ouigours. C’est bien plus qu’une minorite au Xinjiang. je m’apercois que finalement, si les cultures minoritaires sont en danger elles sont bien mieux preservees que celle des hans. L’occidentalisation des chinois est telle qu’apres les ravages du maoisme on se demande parfois ou sont passees leurs traditions.
Je suis en Asie centrale. On mange des nans et des kebabs, on dort sur des k’ang, plateforme surelevee et garnie de tapis que l’on chauffe par en-dessous avec des herbes. On venere le coran, on suce partout le jus de la terre. Pour alimenter la frenesie des villes de l’est et du sud de gigantesques champs petroliers et gaziers se succedent. Entre les derricks, des vignes! Les hommes sont aux champs et deterrent progressivement les pieds que l’on a proteges du froid pendant l’hiver. Dans les cours des maisons ouigours les tonnelles se garniront bientot de feuilles puis de grappes. Derriere les battants de bois peint ou de fer forge un art de vivre ancestral resurgira avec les chaleurs de l’ete et les bienfaits d’Allah.
Je retrouve l’hiver a Urumqi. -12 degres. Tempete de neige le 28 mars. Une ville sous haute surveillance ou des hommes en armes quadrillent les quartiers ouigours. La presence de la communaute russe se lit dans l’alphabet de Cyril sur les devantures des pharmacies et des cliniques dentaires. je m’y exerce avec delectation, pouvant enfin mettre a profit les lecons prises avant le depart.
Karamay quant a elle trempe son cul dans l’or noir. Ca flambe. Des batiments tombes tout droit du Texas bordent de larges avenues lechees par les pneus des 4×4. Le beton grimpe a l’assaut du ciel pendant qu’au loin les raffineries font tourner la planche a billets. Mais malgre tous ses efforts pour ressembler a l’Amerique, Karamay reste chinoise avec un urbanisme douteux qui part un peu dans tous les sens.
Les jours suivants je traverse de vastes etendues propices a la philosophie. Mais je me laisse envahir par ces paysages demesures sans reflechir le moins du monde et surtout sans imaginer ce qui m’attend un peu plus loin.
Lorsque j’arrive a Emin le 2 avril, je me jette dans la gueule du loup sans le savoir. La ville est interdite aux etrangers et je m’y trouve avec un GPS, objet de tous les fantasmes d’une administration chinoise paranoiaque. 10 heures d’interrogatoire, de fouille, de procedures et de paperasse me laissent imaginer que j’en serai quitte pour une nuit blanche. Erreur. Je vais vivre 12 jours d’inquietude en residence surveillee ou mes nerfs seront mis a rude epreuve. Informations floues ou absentes, echeances sans cesse repoussees a coup de « maybe » et de « as soon as possible ». Finalement, le samedi 10 avril, toute la clique debarque pour m’annoncer, debout, le verdict: 1000 EUR d’amende pour activite cartographique illegale. J’ai de la chance car la fourchette va jusqu’a 50000 EUR! Montant pharaonique pour delit imaginaire. Je n’ai d’ailleurs toujours pas compris exactement ce qu’on me reproche. Telle est la justice chinoise: injuste, inequitable, implaquable. Un bon moyen utilise par l’etat pour dresser son peuple.
Apres cette condamnation inique je m’en crois tire d’affaire malgre un autre probleme a resoudre, mon visa. En effet celui-ci a expire entre temps. La police m’a promis que ce serait regle en 10 minutes. Oui, mais c’etait avant que je sois condamne! Maintenant que je suis devenu « persona non grata », mon dossier part a Urumqi et on me parle d’abord d’expulsion par Canton, Shanghai ou Pekin. On m’invite a dejeuner avec cette lecon de philosophie chinoise: si tu as une journee a passer ici et que tu es malheureux, autant etre heureux puisque de toute facon tu as une journee a passer ici. je les felicite pour leur sens de l’humour.
Apres maintes peripeties dont j’ai note tous les details afin de me souvenir du plan de fonctionnement du cerveau administratif chinois je franchis la frontiere kazakhe le 13 avril a 13h. Il n’est plus temps de revasser car Marianne et les enfants m’attendent a Almaty depuis 2 jours et c’est l’anniversaire de ma fille Juliette.
Je n’en veux pas aux chinois qui pour la plupart ont ete sympas avec moi. Au contraire, je les plains de vivre sous une telle chape de plomb et je nous plains d’avoir peut-etre comme futur maitre du monde ce pays totalitaire. Il ne faut jamais l’oublier.
quel plaisir François de vous lire alors que je commençais déjà à sortir mon atlas pour situer le tremblement de terre dont on parle à la radio …. Qinghai… très loin d’ Almaty !
et quel plaisir aussi, ces nouvelles me manquaient….
Bravo pour cette traversée de la Chine, pour les coups de pédales et les vents de face, bravo pour les photos et chapeau d’etre philosophe avec les autorités chinoises. Je partage assez ton sentiment de compassion envers le peuple chinois qui vit sous une chape de plomb et je crains également la menace d’un gouvernement qui a bientot les moyen de racheter la planete…. De ce qui m’a été donné de voir de la Chine, assez peu de choses m’ont donné envie.
Un grand coucou à toute la famille pour des vacances méritées. Bonne suite à vous.
Bonjour François!
je te souhaite un repos bien mérité en compagnie de ta famille…
J’ai souri en lisant ton commentaire sur le passage en revue de tes proches pendant tes longues étapes au guidon. A mon petit niveau, je pratique de même pendant le marathon. Et je dédie les kilomètres difficiles à ceux ou celles réduits à l’immobilité. Je passe le bonjour de ta part à Annecy le 18 avril pour le marathon. Bon voyage! Amicalement par la pensée… BH
Tellement heureux de vous savoir enfin réunis, ensemble, libre ! Ouf. On vous embrasse.
quelle aventure;quel périple!
nous pensons fort à vous et vous souhaitons joyeuses retrouvailles familiales en toute liberté.
bises de nous quatre.
Bonjour François, en fait, je suis Valérie, la compagne de Lionel. Il vient de partir pour Fez, projet qui occupe tout notre temps libre. Mais je viens de découvrir, dévorer, lire un récit de voyage exceptionnel. Les commentaires sont passionnants, la clairvoyance implacable. Quel courage impressionnant ! J’ai hâte de vous rencontrer sur nos lignes… ou ailleurs et de pouvoir écouter le débriefing. Plein de courage pour ce qui reste encore à faire mais le meilleur est à venir avec la petite famille. Bien amicalement. Valérie (et Lionel par procuration)